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Généalogie de la Violence aux USA


Les États-Unis n’ont pas inventé le meurtre ni les armes à feu. Pourtant, c’est le pays au Monde qui concentre le plus de fusillades de masse. Plus de 300 aux USA en 2018 (impliquant au moins 4 victimes). 40.000 personnes sont mortes par armes à feu en 2017. Il ne s’agit pas ici de condamner l’usage des armes à feu, ni d’appeler à la fin du 2nd amendement, qui garantit à tout citoyen le droit de porter des armes. La question est plutôt de comprendre pourquoi la société américaine génère autant de violence, en contradiction totale avec l’idée qu’un progrès social et démocratique engendre une civilisation pacifiée.

A travers plusieurs hypothèses, essayons ensemble de décrypter la culture de la violence qui gangrène aujourd’hui l’Amérique.

Revenons tout d’abord au 2nd amendement. A chaque fusillade, ressurgit dans le débat la question du maintien de ce droit fondamental, cher aux américains, de se protéger, d’abord contre leur propre gouvernement, puis contre leur concitoyen. Il est certes plus pratique pour un déséquilibré de massacrer une foule au fusil automatique, plutôt qu’au couteau.

Pourtant, l’idée qu’interdire les armes à feu va supprimer le nombre de meurtres et actes violents commis chaque année me semble naïve. Les drogues dures sont interdites, pourtant des millions de personnes s’en servent, leur nombre n’a pas diminuée, bien au contraire. Dans un autre domaine, les associations féministes et puritaines, comme la Ligue de Tempérance, ont œuvré contre la production et la vente d’alcool, provoquant la mise en place de la Prohibition, mais également l’essor du crime organisé. L’Enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on…

La violence est-elle ancrée dans l’ADN des USA ? fait-elle partie intégrante de la culture, comme le cinéma, l’architecture ou la musique ? Le pays s’est construit sur de puissants antagonismes, opposant d’abord les nouvelles colonies aux Anglais, puis aux Indiens, la lutte devint interne par la suite. Le Far-West, les Gangsters, les crimes raciaux, lynchages, etc. L’Histoire américaine est jalonnée de cadavres. On peut admettre cependant qu’il en est ainsi de l’immense majorité des autres pays. De manière générale, l’Histoire du Monde s’est aussi écrite dans le sang.

La spécificité Étasunienne est donc plutôt axée sur la réification de la violence. Jean Baudrillard, dans La société de consommation, s’appuie sur la définition du libéralisme : La libre circulation des capitaux, des biens et des personnes, en fonction des besoins du Marché. En d’autres termes, le Marché coordonne et détermine toutes les composantes sociétales. Y compris la violence. Les États-Unis ont popularisé le mass murder et érigé au rang de star des tueurs en série, les médias faisant la promotion d’un décompte du nombre de victimes, comme les statistiques sportives. La violence est donc devenue un objet de consommation, générant des modes et créant une véritable fascination, une esthétique de la mort.

L’hypothèse d’un lien entre Marché et violence avait déjà été mise en avant par Karl Marx. Le théoricien de la lutte des classes a établi une corrélation entre le capitalisme et la guerre civile généralisée. Une lutte de tous contre tous, noirs contre blancs, gauche contre droite, qui profite au grand Capital mondialisé.

Les USA seraient-ils moins violents dans une économie non-libérale ? Question complexe, qui laisse place à de nombreuses spéculations. Et si la violence était intrinsèque à la Nature humaine ? Le philosophe René Girard, dans La violence et le sacré, introduit le concept de désir mimétique. Les rapports humains sont essentiellement instables et vont vers des extrêmes. Extrême de l’amour, mais aussi extrême de la violence. Pour résumer, l’Homme imite les comportements de ces congénères, dans une relation positive de collaboration, mais également à travers les confrontations et oppositions. Selon Girard, le cycle inéluctable vers la violence est régulièrement brisé par le mécanisme du bouc émissaire. La violence qui menace la société est ainsi ritualisée autour d’un symbole, permettant la continuité de la civilisation. Autrement dit, l’Amérique a peut-être besoin de marginaux, tueurs en série, que la société civile peut pointer du doigt, exclure du reste de la population, et ainsi être confortée dans ses valeurs.

Voici donc une clé de compréhension. Malgré les nombreuses tragédies, les innombrables condamnations des armes à feu, le phénomène ne cesse d’augmenter. L’être humain ne saurait donc réprimer ses instincts barbares. Jean Baudrillard illustre cette contradiction ainsi : Dans une société occidentale pacifiée de l’Abondance, la violence est nécessaire. Dans une société de consommation, le besoin et le désir sont liés à l’acte d’achat. Or, si les besoins peuvent être définis et comblés, le désir est par essence complexe et parfois contradictoire. De plus, nous partons du principe qu’un progrès social va de pair avec une société pacifiée, que cette violence nous apparait incompréhensible. Pourtant, admettre que Liberté et Abondance ne vont pas forcément ensemble permet de comprendre pourquoi certains individus marginaux veulent y échapper, s’opposant ainsi par leur pulsion de mort au diktat du bonheur par la consommation.

Le débat reste donc ouvert. Les raisons peuvent être socio-économiques, politiques, philosophiques, probablement un peu de chaque.


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